Ce mois de mai, je l’ai passé de l’autre côté de la planète, au creux de la maison de mon amie Florence, belgo-mexicaine, et de son compagnon, Gaby, au bord du Pacifique, en compagnie de ma toute petite de 18 ans. J’ai découvert leur vie, la vie, là-bas, dans ce pays, cet environnement et ce climat si différents des nôtres ; dans cette lumière, cet air, cette eau, cette terre vibrants et extraordinairement étranges, pour moi, l’étrangère.

J’avais envie de partager ici quelques traces de ce voyage ; j’ai eu très envie d’écrire là-bas, très envie d’écrire en rentrant, je me suis sentie portée par l’éloignement et je tente ici de vous transmettre ce désir vif d’écrire.

J’ai exploré cette région du pays, le Jalisco, en lisant « Le rêve mexicain » de J.M.G. Le Clézio et j’ai vécu profondément ce sentiment d’exotisme que nous vivons face à l’altérité. Dans « Le rêve mexicain », Le Clézio relate la découverte et la destruction des civilisations pré-hispaniques par Cortès et ses soldats, il relate, outre l’entreprise de destruction totale, l’ébahissement et la fascination des contemporains de Cortès face à cette terre et ses habitants. Ce sentiment d’exotisme m’a renvoyé à mes racines géographiques, sociales, climatiques, culturelles. J’ai grandi et vieilli ailleurs, parallèlement et différemment. Je ne suis pas encore parvenue à distinguer de façon exhaustive — hors des considérations écologico-climatiques — ce qui fait mon ailleurs et conjointement ce qui me donne ce sentiment d’exotisme. Mais j’ai très envie de l’explorer, non seulement parce que côtoyer cette réalité mexicaine si proche et si différente à la fois ouvre des espaces intérieurs multiples mais aussi parce que ce sentiment d’exotisme me semble nécessaire : savoir qui je suis, d’où je viens — dans tous les sens du terme : de quel pays, quelle société, quelle famille, quelle culture, quel environnement, quelles habitudes, etc. — et faire fi de tout ce formatage pour rencontrer l’autre, le vivant, le paysage. Me laisser impressionner et émerveiller. Face à l’autre, si bizarre et étrange qu’il nous apparaisse, nous avons en tant qu’être humain, le choix de la destruction et de l’assimilation — à l’instar des espagnols du XVIè siècle — ou celui de l’enrichissement personnel et collectif. Le Clézio pose cette question, essentielle aujourd’hui : « Qu’aurait été notre monde, s’il n’y avait eu cette destruction, ce silence des peuples indiens? Si la violence du monde moderne n’avait pas aboli cette magie, cette lumière? » Nous sommes toutes et tous, les pieds posés au bord du monde comme au bord d’une falaise à observer les destructions continues de nos contemporains, nos impuissances comme des poids pesants au bout de nos bras. Je vous invite à déposer ces poids pour retrouver notre puissance en puisant à la source même de notre humanité : notre capacité à nous laisser impressionner et émerveiller. Et peut-être approcherons-nous la magie…

Je propose de vous partager des bribes de mon voyage et d’écrire ensemble sur ces impressions laissées par les paysages, les rencontres, les étrangetés qui parsèment nos routes et sur l’émerveillement qui augmente nos capacités d’écoute, de partage et de douceur. Je vous invite dans la réalité du cœur augmenté.



Durant les premières semaines de mon séjour chez Florence, c’est la lumière qui m’a fascinée, et la beauté des fleurs. Florence, Gaby et les parents de Florence ont aménagé une terrasse de rêve sur le toit de leur maison : fleurs et plantes indigènes et européennes mêlées, fontaine rafraichissante, transats, bar, vent de l’océan. J’ai voulu imprimer ce que je ressentais quand j’étais là-haut (ils ont aménagé un logement sur cette terrasse et c’est là-haut que nous étions installées, ma toute petite et moi). J’avais emmené des papiers imbibés de produit pour réaliser des cyanotypes et je les ai exposés au soleil, parsemés de pétales de fleurs. Bougainvillées, hibiscus, lianes de Saint Jean, orchidées, et tant d’autres dont je ne connais pas le nom… Ce sont les couleurs, les parfums, les fragilités et les forces de ces plantes qui m’ont impressionnée tout d’abord. Chaque matin, un colibri venait butiner les hibiscus et les apténies à feuilles en cœur et ce vol grisant du petit oiseau me fascinait. Au loin, les bruits fous du village, le vent poussiéreux (il n’avait pas plus depuis 5 mois) et l’agitation des uns et des autres, et là, sur la terrasse refuge, les fleurs et les colibris.

Écrivez ce qui vous « impressionne », ce qui fait trace, ce qui s’imprime en vous, dans un refuge réel ou imaginaire que vous choisissez (qui n’est pas votre chambre, votre maison, votre jardin), choisissez un refuge « étranger ». Peut-être le trouverez vos dans un souvenir de voyage, une photo, une carte postale, dans un livre (mon refuge à moi a longtemps été « La montagne magique » de Thomas Mann), dans un tableau (un de mes autres refuges est une marine accrochée dans ma chambre), un dessin, un rêve. Écrivez ce qui vous « impressionne » (ce qui s’imprime littéralement en vous) et vous donne ce sentiment d’appartenir au monde, même loin des êtres humains (et peut-être surtout loin des êtres humains), à n’importe quel endroit de la terre. Qu’est-ce qui vous fait sentir « terrien », au même titre que l’hibiscus ou le colibri?

Écrivez : Ici ou ailleurs, je suis femme/homme de cette terre, comme… (quels sont vos points communs avec les vivants qui vous entourent au doux de votre refuge, quelles sont vos différences, qu’est-ce qui vous étonne, vous fascine?)

Et si, en emboîtant le pas aux mots de Nezahualcoyotl, seigneur du peuple Acolhua de Tezcoco, prince poète (mots transmis par J.M.G. Le Clézio), vous vous revêtiez de fleurs et de plumes d’oiseaux, qui deviendriez-vous?

Revêts-toi des fleurs

Des fleurs couleurs de l’ara des lacs,

Brillantes comme le soleil,

Des fleurs du corbeau,

pare-toi, ici sur la terre,

Seulement ici.

Il en est ainsi

Pour un bref instant seulement,

Les fleurs, pour un instant,

Nous les avons apprêtées :

Déjà, on les porte vers la demeure du dieu,

Vers la demeure des Décharnés…


Écrivez : Paré·e, je deviens…


J’ai eu cette chance incroyable d’assister de manière tout à fait inattendue à « la Peregrination de la Virgen de Zapopan » (nous étions allées visiter un musée d’art contemporain à Zapopan, nous avons eu envie ensuite d’entrer dans l’église et en entrant dans l’église, nous avons été happées). Cette procession était accompagnée de danseuses et danseurs en vêtements d’apparats. Nous avons été emportées par les danses, les sons, les battements, l’étrangeté de la situation, nous étions littéralement subjuguées et déplacées dans une autre dimension. Chacun, chacune s’approprie l’image de la Vierge à sa façon mais c’est tous ensemble que les Mexicains la vénèrent. Vierge de Guadalupe, Vierge de Zapopan, Sainte Rita, Sainte Anita, les figures de mères, de femmes qui sauvent et font des miracles imprègnent les villes et les villages. « Impressionnent, laissent trace ».

La Vierge de Guadalupe a laissé trace : elle a imprimé son image sur le manteau de Juan Diego à qui elle était apparue. Image acheropoïète (qui n’est pas réalisée par la main de l’homme), elle s’est imprimée entourée de roses et d’étoiles.

Le lien à l’invisible s’enracine dans le sol au Mexique, on frappe du pied, on bat la mesure et puis on s’envole en dansant et en chantant ensuite calmement des chants religieux (accompagnés parfois de mariachis). On dit des prières ensemble, on s’agenouille, on avance à genoux, à reculons, on se transforme en animal, en guerrier, en guerrière, toutes les formes de piété s’expriment et se montrent.

En qui croyez-vous? Quelles sont les personnalités qui laissent trace sur vos manteaux? Dans la peau de quels animaux vous envolez-vous? Que recevez-vous du ciel? Quel guerrier, guerrière êtes-vous? Quelle musique accompagne vos transes et/ou vos prières?

Écrivez votre propre prière, laissez vous imprégner par vos idoles, écrivez à qui vous voulez. Autorisez-vous à revêtir plumes, vêtements d’apparat, à vous transformer pour un temps, en animal, personnage fantastique, faites du bruit et priez à votre manière. Soyez plus que vous-mêmes.

Toutes les prières que vous connaissez, toutes les idoles que vous vénérez, peuvent trouver leur place dans ce texte, toute mixité et toute étrangeté est bienvenue. Ne cherchez pas trop loin, priez et faites du bruit.


Et puis, reposez-vous, accompagnez-nous, au bord de l’océan, bercés par les vagues, allégés, les questions au vent et aux pélicans, un verre de ce que vous désirez devant vous, des sourires, des douceurs, des accents d’ailleurs…

Décrivez ce que vous ressentez, ce qui se dépose, la joie de l’apaisement.

Écrivez les peurs que vous laissez derrière vous. À quoi ressemblent-elles?

Écoutez Clara Ysé, écoutez sa liberté et suivez-là.

(je n’ai pas peur du désert, des lumières lointaines, des nuits plus noires, ni de la mer sans couleur)

Écrivez la magie du cœur apaisé, sa puissance. Comme le vent entre mes mains, comme…

(comme le vent entre mes mains, comme la danse des sorciers gitans, comme la rivière qui enracine la lune, comme les nuages qui galopent dans la vieille lagune)

Laissez-vous porter par le bercement des vagues, la beauté des ailleurs et l’amitié profonde. Tout est là, ici, comme là-bas.


Merci d’avoir suivi quelques traces de mon voyage et de vous en être inspiré·e. Je vous souhaite d’avoir approché la magie et de la débusquer dans tous vos voyages, aussi proches qu’ils soient.

Partagez vos textes sur le groupe Facebook pour échanger et réagir aux textes des unes et des autres.



Fidéline Dujeu